La salle de jeux de Hassan (Kahane)

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[…]

Des orgasmes d’approbation jaillissent à la ronde. Le Mugwump tire un rideau de soie, découvrant un gibet de teck dressé sur une plate-forme de dalles aztèques devant un écran lumineux de quartz rouge. L’adolescent tombe agenouillé avec un long « Oooooh » de terreur et se conchie les jarrets. Un flux de sang brûlant lui gonfle la gorge et les lèvres, son corps se pelotonne en position fœtale et le sperme lui gicle chaud au visage. Le Mugwump puise quelques gouttes d’eau parfumée dans un vase d’albâtre, lave rêveusement l’anus et le sexe de l’enfant puis les essuie avec une serviette bleue. Une brise tiède joue sur le corps de l’adolescent, poils et cheveux dansent mollement. Le Mugwump glisse une main sous son torse et l’aide à se relever. Lui tordant les coudes derrière le dos, il le pousse sur le plate-forme, saisit le nœud coulant au passage et se place en face du garçon.

[…]

L’âcre odeur protéinique du sperme plane dans la salle. Les invités caressent longuement les adolescents qui se tortillent à bout de corde, se pendent à leurs dos comme des vampires pour les sucer.

De grands maîtres nageurs nus charrient des poumons d’acier bourrés de jeunes paralytiques. Des gamins aveuglent affleurent comme des taupes à la surface d’énormes gâteaux, des schizophrènes décatis jaillissent d’une vulve en caoutchouc, des garçonnets pourris d’eczéma émergent d’un bassin noir où des poissons grignotent nonchalamment les étrons jaunes qui flottent entre deux eaux.

Un homme en plastron et cravate blanche, nu de la tête aux pieds à l’exception de ses fixe-chaussettes de soie noire, devise d’une voix précieuse avec la Reine des Abeilles. (Ces Reines sont de vieilles femmes qui s’entourent de pédérastes pour former un essaim. C’est une sinistre coutume mexicaine.) « Mais où est donc le statuaire? » demande-t-il du coin gauche de la bouche. L’autre moitié de son visage est tordue par la Torture des Mille Miroirs. Il se masturbe avec frénésie. La Reine des Abeilles ne remarque rien et poursuit la conversation.

Divans, fauteuils, chaises, le parquet lui-même – tout vibre, changeant les invités en fantômes tremblotants et flous qui hurlent à l’agonie du pal-en-cul.

Deux vauriens se manipulent l’un l’autre sous un pont de chemin de fer. Le train qui passe trépide à travers leurs corps, leur arrache l’orgasme et disparaît en sifflant dans le lointain. Les grenouilles coassent. Les deux vauriens essuient le sperme qui miroite sur leurs estomacs hâlés.

Dans un compartiment de train : deux jeunes camés souffreteux en route pour une cure de renonce à l’hôpital de Lexington se déculottent mutuellement avec des convulsions lubriques. L’un des deux se savonne à pleine mousse et sodomise son copain en vrille.  «Doux Jésuuuuuus!» Ils explosent ensemble tout debout, se décollent l’un l’autre et relèvent culottes.

– Je connais un toubib à Marshall qui a l’ordonnance facile pour la teinture d’opium.

– Aïe, docteur, c’est pour ma pauvre maman, elle a les hémorroïdes qui sortent toutes saignantes pour mendier une miette de noire… Allons, docteur supposez que ce soye votre vieille mère en train de danser la salope avec des sangsues qui la gouinent par l’intérieur… Maman, arrête de tortiller du bassin, c’est trop dégoutant…

[…]

Hassan lance un cri de rage: « C’est votre faute, A.J.! Ma soirée est foutue à cause de vous!» A.J. le dévisage, les yeux d’une froideur de pierre: «Va te faire liquéfier, macaque.»

Une horde de matrones américaines en chaleur fait irruption. L’entrecuisse en nage, elles débusquent de leurs antres multiples, germe ou ranch à touristes, usine, club de golf ou bordel, faubourg ou studio avec terrasse sur le parc, motel et bar et yacht – elles s’épluchent en courant, jodhpurs et fuseaux de ski, robes de soir, blue-jeans, ensembles de cocktail et corsages imprimés, corsaires et bikinis et kimonos. Tout cela corne et miaule et glapit, bondit sur les invités comme autant de chiennes enragées de rut, griffe et lacère les jeunes pendus en vociférant: «Salaud! Pédé! Baise! Baise donc! Vas-tu baiser!»

Les invités s’enfuient avec des cris de terreur, louvoyant entre les pendus et culbutant à terre les poumons d’acier.

A.J.: À moi mes Suisses! À la hallebarde, nom de Dieu! Qu’on me débarrasse de ces louves!

[…]

A.J.: Tire-au-cul! Simulateurs! Je suis fait… Sans Suisses ne vaux… Messieurs, nous sommes acculés! L’honneur de nos verges est en jeu… Branle-bas de combat! Allons, monsieur Hyslop, flamberge au vent, nous repousserons l’abordelage!

A.J. dégaine un grand coutelas et décapite les Girls en série en braillant une chanson de pirates d’une voix avinée:

Fifteen men on the dead man’s chest
Yo ho ho and a bottle of rum…

M. Hyslop (avec un soupir de résignation): Misère! Voilà que ça le reprend… (Il agite d’une main lasse le pavillon noir à tête de mort.)

[…]