par Khalid EL Morabethi
Tigre, tigre, l’enfant vend son âme au tigre.
Tigre, tigre, le cœur du tigre.
Tigre, tigre, un cœur qui bat bien trop fort.
Tigre, tigre, la vengeance du tigre.
Tigre, tigre, sentir l’acide sulfurique à la place du sang. Sentir le tigre.
L’enfant vit, parce que tigre vit.
Tigre, tigre, le regard du tigre.
L’enfant vit, parce que tigre vit.
Parce que tigre vit. Au fond. Tout au fond. Tout autour. Au-dessous. Au-dessus. À l’intérieur. Près du cœur. Près du monsieur. Près d’un autre. Près du narrateur. Près d’un tueur. Près d’une confession. Près d’un innocent. Au fond. Tout au fond. Parce que tigre vit.
Tigre, tigre, l’enfant est handicapé, tigre, tigre, brûlant, brûlant, la flamme rouge du tigre rouge bloque ses muscles, la flamme rouge du tigre rouge bloque ses pensées, la flamme rouge du tigre rouge brûle la fleur planté au milieu du lit, la flamme rouge du tigre rouge pourrissent les murs de la chambre. La flamme. La flamme rouge du tigre rouge. Parce que tigre vit.
Tigre, tigre, la gorge du tigre.
Tigre, tigre, la gorge serrée de l’enfant, du tigre enfant, de l’enfant tigre, de l’enfant.
Parce que tigre vit.
Tigre, tigre, l’enfant aura l’âge d’un dinosaure et il pèsera cent kilos.
Tigre, tigre, l’enfant vendra son âme et son stylo.
L’enfant pense qu’un traitre tombera amoureux de lui.
L’enfant pense, parce que tigre pense.
L’enfant pense que le ciel tombera amoureux et partira.
L’enfant pense, parce qu’il faut penser, parce que tigre pense.
L’enfant pense que ses cheveux tomberont amoureux un jour et finiront par partir avec le vent.
L’enfant pense qu’il faut beaucoup de cadavres de voitures.
L’enfant pense qu’il faut beaucoup de cadavres d’humains.
L’enfant pense qu’il faut beaucoup de sens.
Parce que tigre vit.
Parce que tigre pense.
Parce que tigre vit, parce que tigre pense, parce qu’un jour, tigre dansait autour du feu et tout à coup, il avait compris le sens.
L’enfant pense.
Tigre, tigre, le sens du tigre. Le sens de cette partie humaine de l’enfant. Le sens de cet humain caché derrière la crâne du tigre. L’enfant pense.
Parce que tigre pense.
Tigre, tigre. Vomir l’âme.
Tigre, tigre. Revendre l’âme.
Tigre, tigre. La peur du tigre.
Tigre, tigre. Le visage.
Le visage de l’enfant. L’enfant tigre, tigre enfant. Du tigre. De l’enfant.
Tigre, tigre.
L’enfant regardait ses mains pour ne pas se regarder.
Tigre. Le miroir.
Le cri de quelqu’un.
L’enfant vend son âme, meurt, revit, parce que tigre vit. Parce que tigre pense.
L’enfant pense qu’il est à l’extérieur et que tigre est à l’intérieur.
L’enfant pense qu’il faut beaucoup de pierres, qu’il faut manger beaucoup de pierres, pour que ses os se cassent, pour qu’il pèse trois cent kilos, pour que ses jambes deviennent lourdes, pour que son âme tombe et tout vendre. Il faut beaucoup de sens, il faut beaucoup de pierres. Tigre pense.
Tigre. L’enfant est beau.
Tigre. L’enfant pense qu’il faut beaucoup de griffures sur le corps.
L’enfant pense qu’il faut beaucoup de griffures sur son dos.
L’enfant pense qu’il faut planter un pommier au milieu.
L’enfant pense qu’il faut un dialogue.
L’enfant pense. Tigre, tigre. Dialogue. L’enfant.
L’enfant pense qu’il ne faut pas dormir, qu’il faut que quelqu’un l’empêche de dormir.
Tigre, tigre. Dormir n’a aucun sens.
L’enfant pense qu’il faut beaucoup de mouchoirs.
L’enfant pense, parce que tigre pense.
L’enfant pense qu’il faut beaucoup de mouchoirs. Tigre pense qu’il faut beaucoup de mouchoirs, noirs. L’enfant pense qu’il faut beaucoup de mouchoirs, noirs. Tigre pense qu’il faut avoir des ongles noirs.
Il faut beaucoup de sens.
L’enfant vit, parce que tigre vit.
L’enfant pense.
L’enfant joue.
L’enfant pense qu’il faut se pendre.
L’enfant pense qu’il faut avoir un beau pommier.
Tigre, tigre. L’enfant pense qu’il faut avoir un prénom.
L’enfant pense.
Tigre.
L’enfant.
La corde.
* Ce texte est tiré du recueil E.X.E.R.C.I.C.E.S, paru aux éditions Atelier de l’agneau en 2017.
[Khalid EL Morabethi vit, étudie, cultive son jardin au Maroc à Oujda, écrit des textes, des sortes d’exercices.]