Valpo

par Nicholas Dawson

1.

tous les chemins mènent au large aux pélicans
qui savent tout qui voient tout lourds de cette mémoire qui flotte
défient l’air et l’océan planent et plongent
pêchent l’histoire la font valser dans leur bec
la bouffent la régurgitent dans le bec des petits
pélicans miniatures nourris de poissons nourris de bouts de chair
de métal rouillé et de fragments d’os
majestueux et millénaires les pélicans se délectent
de la disparition

2.

cruces sur les murs de nos salons
entières nos demeures sont des cercueils
réceptacles à souvenirs
entomologiques 
piqués poignardés cloués comme des mouches
qu’on ne sait plus raconter
parmi les croix et les visages figés le silence est de mise
et l’horreur aussi

3.

alors on se détourne
des murs et des couleurs poreuses des Andes
on se tourne vers la fenêtre qui encadre le bruit
des bateaux vapeurs klaxons moteurs
mira la vista que lindo ¿no?
on remplit l’espace de gestes attendus
autoritaires comme nos voix nos mots vides et bouts de doigts
nos empreintes digitales
sur la vitre altèrent l’horizon
détournent la trajectoire des pélicans
taches d’huile sur la baie une image perpétuelle 
comme la mer de Valpo
la ventana manchada de la memoria
nos fenêtres accueillent nos deuils
c’est là qu’on lance nos oublis

***

[Né au Chili, Nicholas Dawson est l’auteur de La déposition des chemins (2010), d’Animitas (2017), de Désormais, ma demeure (2020) et, avec Karine Rosso, de Nous sommes un continent. Correspondance mestiza (2021). Rédacteur en chef de la revue Mœbius, il dirige aussi la collection «Poèmes» aux éditions Triptyque.]