par Chloé Savoie-Bernard
au verso de cet amour qui m’a mariée à moi
je suis sortie de la messe
seule
droite
et jamais blanche
j’ai enlevé la robe
le quelque chose de neuf
le quelque chose de bleu
tout ce qui était emprunté
la procession interrompue
j’ai enfin atteint le muséal
puis j’ai ôté les œufs de mon ventre
pour les tirer avec une carabine
que m’ont apportée des mésanges
les coquilles éclatées
nos enfants crèvent le jaune
fantomatiques ils rampent
mais ne naissent jamais
je les cueille
ils gazouillent tandis que je les épingle
sur un tableau de liège
lorsqu’ils arrêtent de grouiller je les flatte
mes petits chats
regardez-moi couler mes pieds dans le béton
regardez ma peau se corner au soleil
la gorge sèche
les doigts tombés
je ne bouge pas d’ici
***
les émotions ont été épilées vidées sucées
désormais malgré le raclage je ne suis plus belle
pas même vulnérable
les oiseaux ont picoré mes noyaux et les bisons sont partis
mes poumons et mon intestin les engraissent
je ne mange plus je préfère
être mangée
stagnante
au centre du vivant
je suis calme
dépecée
***
que continue le sarclage
de l’altérité
jusqu’à ce qu’éparses mes miettes
n’aient plus mon visage
***
la nuque rompue j’ai attendu un train
qui m’a menée cheminant sur ma colonne
de ma peine à mon sexe sec
assise j’observe
mes muqueuses coites
m’auscultant on me dit pourtant qu’il reste de la chair à mes langes
des fleurs à mes bras du zeste à mes fougues
pour les retrouver il faudrait que je me déplace
je dis non
ma nudité immobile est un plastique
sur des leftovers froids
***
j’ai cru avoir résisté aux bruits ambiants
finalement ce sont eux qui m’ont léchée
jusqu’à me mordre
me mastiquer lentement
me voyant au bord de leurs lèvres
j’ai tendu mes veines et j’ai dit gardez le change
***
défenestrées des varices éclatent
contreviennent au statisme
pour mon anniversaire
je souhaite me plonger
dans une piscine de résine
et figer comme une panna cotta
***
on me dit regarde tes larmes regarde ton sang
regarde l’alarme qui pend à ton sternum tes seins bougent encore
et tes mains sont toujours sur ton dos et ta tête à tes pieds
alors pourquoi seuls mes os mats reflètent les ressentiments
aspirée de l’intérieur je suis un squelette
un hologramme
un envers
***
il y a longtemps au troc je vous ai échangé mes défenses
contre du glaçage et des livres je les garde en réserve
pour le moment où abat-jour ils serviront
à me protéger de la lumière et des tourments
en attendant exposée je vernis ma mort
souhaitant qu’elle devienne à la mode
si un jour à nouveau je bouge je la mènerai
à l’encan
***
on me dit voir ma détermination et mes alchimies profondes et ridicules
on me dit voir des fruits à mes jambes des métaphores à mes songes
on me dit liquide et balancée
mais je le sais mieux que vous
j’ai perdu toute politesse
tout maquillage
toute grandeur
je suis dépouillée
regardez-moi je suis laide et indifférente
suspendue et arrêtée je ne demande pas mieux
ma médiocrité est un rouge à lèvres
dont j’enduis toutes nervures
je n’ai peur de rien
***
[Chloé Savoie-Bernard est une écrivaine montréalaise qui pratique la poésie (Royaume scotch tape, L’Hexagone, 2015; Fastes, L’Hexagone, 2018) et la nouvelle (Des femmes savantes, Triptyque, 2016). Elle a aussi dirigé le collectif Corps, paru chez Triptyque en 2018. Elle a collaboré à plusieurs revues dont Filles Missiles, Estuaire, Granta et The Lifted Brow, en plus d’offrir des lectures de ses textes sur différentes scènes. Elle fait partie du comité de rédaction de la revue Moebius depuis sa refonte en 2017. En outre, elle complète actuellement un doctorat sur la poésie féministe au Québec à l’Université de Montréal.]