Tsi-hangiha

par Amélie Durand

Uhoa 

Quand je ne peux plus avancer, je remplace
ma vie
par
le vent

Je ne peux pas nager, je pousse la vague seulement, je me trempe
J’entre dans l’eau pour me laver, jusqu’à la taille, jusqu’à la poitrine, jusqu’aux os
Le sel me ronge
J’entre dans l’eau jusqu’aux aisselles, les dents serrées
Et je demande à mes épaules
De me surveiller
Atrala ufa alopara watru wasudziha

 

Udya

Un coffre, un djinn
Le djinn s’ébroue, il dit je suis sale
Il dit l’océan se passera de moi.
Cochons d’humains qui me regardent et me regardent

Les boules d’algues, le vent lépreux, l’écume-neige m’ont décliné, coloré, décoloré
Je ne connaissais ni la rivière ni l’eau des nuages
Seulement mon coffre matelassé d’algues
Et le courant de l’océan

Mais maintenant, amma !
Échoué, mon coffre ouvert par vous
Mon régime alimentaire au cou
Collier de goémon
Je n’ai pas mis ma plus mauvaise robe pour m’asseoir dans votre assiette
Je n’ai pas levé plus de quatre doigts pour vous saluer
Vous
Vous cochons d’humains
Vous pêcheurs de coffres, mangeurs de viande sans nourriture
Cœurs sans mal, corps sans corps

Votre assiette est pour moi une table
Et je devrai manger plus, beaucoup plus, maintenant que je vis avec vous.

Venez, cochons d’humains! Nourrissez-moi, avasa!

 

Uhiba

Les enfants se souviennent du nettoyage qui les a salis
Ils ne le seront pas plus par les boues et par la pluie
Leurs longs cheveux occupés, roulés, ceux des uns attachés à ceux des autres
Tricotés le long des branches des palétuviers
Le long de la mort
Ewa
Des vêtements mélangés, propres et sales
Le corps recouvert de sel sec.

Qui êtes-vous ? Leur demande-t-on
Et, comme ils font peur, la voix tremble, on pleure à leur approche
Qui êtes-vous ? Leur demande-t-on en pleurant
Nous sommes de jeunes femmes, nous sommes de jeunes hommes
Nous sommes la joie, répondent-elles
Nous sommes de petits oiseaux encore dans l’œuf, dans la joie de l’œuf
Nous avons des couteaux
Et nous voulons votre argent. 

Puisque nous ne pouvons aller à l’école
Pour nous, c’est le moment de se laver au soleil, à l’eau salée
De passer un peu de temps — peu et beaucoup de temps
En vacances
De nous asseoir à l’abri avec notre butin votre bien
Et de regarder les choses, au plus profond de la noirceur :
Ce mur entre vous et nous.

Fond gris du soir, remélangé aux vents de la journée
Les enfants battent le rappel
Amassent leur butin
Sur leur bateau échoué dans la mangrove
Vieux navire pourrissant, jadis lui-même plante vivace
Germant.

L’une d’eux dit qu’il était une fois une maison
Une autre dit j’aurais préféré un rat blanc
Un autre dit j’aurais préféré une ville
Les branches autour d’eux sont nues
L’eau est partout
Les bras ouverts
Ils portent le vent.

 

 

[Depuis sa plus tendre enfance, Amélie a été elle-même mais aussi beaucoup d’autres: sa sœur, la fleuriste, la police, le lac du Salagou. Parfois ça l’amuse, parfois ça la déprime. Réfractaire à toute forme d’enseignement, elle est pourtant contrainte par sa vieille tante à suivre des cours de finance et de balistique à l’école élémentaire Philippe Cadique, dans le Gard. Elle en est exclue à l’âge de sept ans pour y avoir inventé, avec ses camarades de CE1, le lance-pierre à plasma. Par pur esprit de vengeance, elle devient écrivaine.

On peut lire ses textes dans de nombreuses revues, dont Jef Klak, H, bizou et La Femelle du Requin. https://www.ateliersmedicis.fr/le-reseau/acteur/amelie-durand-8694]