par Marjorie Ricord
Voit pas le monstre,
la ville a ses caractères incongrus
voix qui se trouvent par hasard.
Cueillir au fond d’un champ,
mais d’abord aller au fond du champ,
Voit pas les visages,
des voix qui pissent à l’horizontale.
N’est pas facile qui veut,
qu’elles ne savent pas qu’on les entend,
tombent, s’éclatent.
1: ce que font les voix
2: ce qu’en fait la ville
3: ce qu’on ne dit pas.
–
courent
prient
hontent
mentent
étrangent
gavent
taisent
ahurissent
amputent
–
fallait être là où ne pas être du tout, avec le soleil fer glacé qui inflige au corps qu’on le colle au trottoir, qu’on tente de décoller, caprice de l’épiderme déchiré, repos des grillages qui ferment sans laisser penser qu’on puisse les ouvrir, jambes de la ville, trou noir, fente,
elle traverse les bandes blanches, aux mains des fleurs blanches, le poids de son incapacité à être ailleurs
–
souvent penser ici qu’on est ici et qu’on n’est pas là-bas, penser cela pour penser mieux l’ailleurs, et que le corps est là et que le bruit d’ici ce n’est pas le bruit de là-bas, qu’il va finir, commencer ailleurs, et là-bas engouffre les possibles et les rails mangent et les voies détruisent autant qu’elles font renaître, briller, commissures cuirs chevelus fissures profondes du milieu des visages, les rues les voies se dressent, attendent les hommes et comme les rapports sont tissés par l’intime ils répondent en silence, dialogue yeux-jambes-fer, et comme s’ils étaient seuls,
regarder la destitution, le silence des corps c’est voir l’absence des entrailles, tenter de les écouter c’est viscéral, tenter d’entendre leur voix c’est faire l’expérience de l’impossibilité et cependant surmonter, tenter de la traduire c’est tenter sa traduction en intentions humaines, mais tout en elle, la voix, se fait passer pour humain mais parle d’un autre langage qu’on a cessé d’entendre tant il nous a caressé, l’oreille, tenter de trouver une logique, n’importe laquelle, c’est faire parler les paupières tunnels-carreaux-blanches, froids et vitreux, les yeux, placide, placide mais saint, tenter la réconciliation avec la distance, l’abolition de l’absence, tenter de sauter ce grand trou qu’elle laisse entre les pieds, écart-noir-fissure, ses longs cheveux coupés, balbutiement, l’enfant au visage droit aléatoirement, pousse à bout, au bout de ces années poussé au bout de ce qu’on lui a dit d’être, entendu, compris, oublié, et si cela était possible rien ne serait infernal car l’enfer est inoxydable, l’enfer pas l’enfant, c’est-à-dire que le temps ne lui passe pas dessus puisque le temps est une invention humaine, en traversant les bandes blanches que l’enfant piétine, elle lui dit, la femme aux longs cheveux coupés, tu sais le corps, tu devras le creuser pour le connaître, et pour savoir, et l’enfant une seconde tenter de demander, savoir quoi, en sachant bien qu’elle ne répondrait pas et que c’était là le but des questions sans réponses, l’enfant tape du pied sans se mettre en colère mais par habitude et sait qu’elle croit, la femme, qu’il ne comprend pas et que c’est faux, et que cette innocence s’écaillera comme le feront sans doute les bandes blanches qu’on repeindra chaque fois que nécessaire, elle lui dit, tu sais tu comprendras, et d’autres choses et d’autres mots, et les stations privées de l’ennui les attendent déjà, leurs confusions télépathiques qu’elles offrent aux hommes sans qu’ils sans doutent, sans qu’ils le sachent, sans qu’elles leurs disent.
–
Le caoutchouc grince offre de beaux horizons tournants virages de l’âme et grands boulevards, il ne suffit pas d’être seul pour être seul, les nerfs vous accompagnent.
– Ça sent la poussière par ici, allons, partons.
–
Car elle fut la première à franchir ce qu’ensemble on appelait :
ville
–
chutent
ravissent
dorment
méprennent
–
la surprise, à tous révélée de l’extermination nerveuse et folle et rapiécée de la totalité des voix, sans fin raccommodée, et repasse comme on peut le tissu étrange sans laisser voir les plis taches zones d’ombres courroucées, le soupçon de leur éveil, ces voix ratatinées, punaises de peau plaques et reliefs, dents dures contre la poussière des corps, filtrée par néon blanc, office, voix laissées là comme empreintes pour être passés par ici, taches un moment, quittent puis emportent avec elles le piège des tunnels refermés, des souvenirs comme flammes, des frissons achevés
les odeurs éclairent aussi, indice d’une disparition, la voix finit par se taire, délaissée par le désir, un homme traverse en roulant dans un bus le tunnel, machine à rêve, s’il ferme les yeux verra des formes interdites.
[Marjorie Ricord est née en 1993, vit au Havre où elle fait un master création littéraire, fuit beaucoup, écrit parfois, observe la conjonction des deux.]