par Carmine Starnino
(trad. Gabriel Kunst)
Je pourrais faire un effort, être l’homme qu’il faut pour ce travail solo,
pendre par les pattes un lapin épluché de son manteau
à poils noirs et qui parlerait encore par spasmes.
Je pourrais aussi saisir la façon particulière qu’il a de faire tourner
un couperet, de le faire tomber sur un cou comme un sauvage.
Plus encore, j’apprendrais à faire glisser le bec de ma lame
dans le parfum d’un flanc, ou à feuilleter le feuillage cardiaque
d’une cage thoracique, mon tablier blanc une toile maculée de sang.
J’aimerais mariner une langue de bœuf et des pieds de cochon, mettre en
conserve des tripes de mouton et de la cervelle de veau, les bocaux cataloguant
les carcasses comme des valises défaites. Striée et luxueuse,
brodée de gras et enrubannée de nerfs,
la viande n’est pas un simulacre la viande est baroque. Cela dit,
j’aimerais retourner les pages d’un jarret et lire toute la journée.
Des contes de flexion et coup de pied, de cri et de criaillement
dans des enclos : chèvres qui mordillent la pelouse, poules démodées,
porcs qui ont reniflé la boue et se sont baignés dans ses odeurs
jusqu’à se qu’on tire la plug et que les engrenages de leurs petits
organes s’immobilisent, organes que j’aimerais déterrer et emballer,
ressuscités dans le rose d’une nouvelle peau de papier.
[Ce poème est tiré de Par ici la sortie, traduction française de This Way Out de Carmine Starnino, à paraître en 2020 aux Éditions Hashtag. Carmine Starnino est un poète canadien né à Montréal en 1970. Son recueil This Way Out a été finaliste pour un Prix du Gouverneur général. Il est rédacteur en chef adjoint du magazine The Walrus.]