La fièvre

par Jonathan Charette

L’étude de l’or m’aveugle!
Dès l’aurore, les scintillements convertissent la paix en schizophrénie.

Les heures dans une rivière aurifère à examiner les spécimens maltraitent la raison.
Pupilles lumineuses, narines dilatées, suffocation.
Ma main ne peut amarrer les vertiges.

À la fin de la journée, je m’évanouis.
Mon pygargue frôle les étoiles circulant sans passeport comme des brigands. Il me rapporte des aliments de consolation.

Au réveil, je trace des lignes de poudre d’or et prise tout sans rien laisser pour mon aigle.

L’intérieur de ma boîte crânienne ressemble à Versailles!

Ici, une somptueuse salle de bal; à gauche, des glaces où se mirer est impensable. Tout près, une rangée de bustes d’albâtre; là-bas, des chandeliers magnifiques.

Tout autour, du cristal translucide; au fond, les jardins entretenus par un membre de l’infanterie nocturne.

Le faste dévalise les fonctions et le minerai corrode le cerveau. Des ombres m’encerclent.

Je m’enfonce dans la jungle, poursuivi par des masques glauques. Près de moi, un ocelot chasse un zèbre, plus loin un vierge incendié enterre ses cendres : personne ne peut effacer les figures à mes trousses.

Le périple mord les muscles jusqu’à la chlorophylle et me fais chuter parmi les ruines.

De retour au camp, le télescope braqué vers le ciel révèle des phénomènes saisissants.

Je vois Tupac boire du Hennessy en compagnie de François Villon, impossible de lire sur les lèvres : ils préparent sûrement un mauvais coup.

Des châteaux inhabités où les clochards seraient rois.

Un régiment d’hippocampes stationné près d’une éclipse.

Les saisons qui sommeillent en attendant leur tour de bouleverser la nature.

Je vois un poète emprisonné dans une geôle anglaise où il rédige une chanson impudique.

Un vignoble mystérieux où les adorateurs rôdent jusqu’à épuisement.

Ce champ où je courrais seul à l’âge de 4 ans.

Un pélican en punition pour avoir déchiqueté mille milliards de contraventions.

Un instant.
Une douleur oculaire force une pause.

Un regard en moi révèle l’or qui décore l’adn. Que léguer sinon une fièvre constante?

Près de l’infini, je vois la date de mon décès inscrite au dos d’une nébuleuse. À moi!
Prévenez mes amis, qu’ils biffent ces chiffres fatidiques.

Je vois à travers une longue gerçure une étoile qui tombe à mes côtés.

Elle dégage une chaleur folle. La stupeur ne m’empêchera pas de prendre sa température : l’instrument prédit une consomption.

Une averse s’abat sur nous.
L’étoile pousse des mugissements si aigus que la quiétude meurt aussitôt.

La pluie défigure les traces de pas dans l’indigo.
La pluie réanime les mineurs obnubilés par le crack.
La pluie polit les bijoux sur les couronnes.
La pluie bénit la dépouille de Walt Whitman qui vagabonde près d’ici.

Après l’averse, mon corps n’est plus à ma taille. Tout dépasse : jurons, ciseaux, déchirures, remords.
Ma langue ne rentre plus dans ma bouche.
Il faudra fracasser la mâchoire, extraire les dents, défoncer le palais.

Trempée, l’étoile déverse toujours des phonèmes inusités : j’installe un gramophone devant eux sans parvenir à les déchiffrer.

Il est nécessaire de faire des tests plus poussés.

L’étoile urine sur un poème pour prouver qu’elle n’est pas enceinte d’un attentat.
Les victimes à venir soupirent.

Comment ne pas suspecter un appétit vorace!

Je donne à l’astre coulées de lave, gouffres, majesté, mais ce n’est pas assez.

Voici quelques déluges, un bloc de marbre du même groupe sanguin que l’étoile, des épines crues. Rien à faire.

Le vacarme devient incontrôlable : qu’importe, il n’y aura pas de défection.

Je déverse un million de bourgeons dans son antre immense.

Dès lors, plus une seule clameur ne trouble l’audition.

L’étude de l’étoile m’éblouit.

 

[Jonathan Charette est l’auteur de Je parle arme blanche (Noroît, 2013) et de La parade des orages en laisse (Noroît, 2015). Son premier recueil lui a valu le Prix de poésie des collégiens. Ses textes ont été publiés dans plusieurs revues, dont EXITMoebiusZinc, et Estuaire.]