Gaspille nos demeures

par Rosy L. Daneault

tu laisses les filles courir jusqu’aux barbelés
tu fermes les yeux Carabosse
prémédite les balles perdues

une rumeur arrose les ombres
et les nuits lagéniformes
où décèdent nos souffles

le sang au compte-goutte gaspille nos demeures
par la fenêtre, nous assistons à la mort des autres

                              prend-elle direction
                              des crevasses, des larmes
                              de la rareté des abris

combien la force nécessaire pour maintenir un mur?

*

hier tu me racontes comment plier les visages
comme des roseaux, avec soin, sans effort
comment dormir; car il vaudrait mieux dormir
alors que les menaces ébranlent la sécurité des corps

longue anesthésie
à la seringue, demander
quelles sont ces ondes qui s’entortillent autour de ma langue
quelles sont les modalités pour le rêve
ou l’extinction
d’une lèvre pâteuse

dans mon costume de fantôme, j’invoque des formes. un rond n’est pas banal, un
triangle n’est pas banal, un carré n’est pas banal. ce sont des langages. moins terrifiants que là où
le sens est localisé
voilà la peluche expulsée du corps ourson
voilà les façades où nous marchons
                              «les gratte-ciels posent problème»
et le fait empêche le geste
tout rappelle qu’un pied cloqué est toujours un pied

pourquoi alors l’asphalte
quand la maladie

*

la tristesse est ultraviolette
seul remède
caresse

la nourriture d’un pli
abrège les lumières

                              chacune aux couleurs souples
                              renforce les nuages

nous organisons nos petites révoltes
contre-attaques aux flottements

si le sommeil guette d’un pieu
s’arme de pierres, attend des têtes qui frapperont d’abord
juge faibles étoiles ourses et philtres

quelconque sauge quelconque obsession ne suffisent pas
devant les cuisses lardées, gorges hémophiles
et la fatigue prématurée des grandes blessées
nous abandonnons les luttes
déposons nos poussières

tu me racontes la résignation

à mon tour, je consens à dormir sous la menace du pieu

[Rosy L. Daneault écrit depuis 2017. Elle est titulaire d’une maîtrise en études littéraires. Elle s’intéresse principalement aux théories écoféministes et aux rapports atypiques à la réalité. Ses textes ont été publiés dans les revues Nyx, Saturne, Lapsus, Le crachoir de Flaubert et Moebius. En 2021, elle a codirigé le collectif Le cas. Quel domaine judiciaire pour la littérature? paru aux éditions L’Instant Même. Son texte «Filles-échardes» a fait partie de la liste préliminaire du Prix de la poésie de Radio-Canada en 2021.]