tirés de Le trop de Pascale, à paraître chez Triptyque en 2022
par Pascale Bérubé
je serai blonde et rien d’autre
devenir blonde que les gens finissent par parler de moi en disant
oh, pascale, la blonde
ne pas devenir blonde pour ressembler à une autre blonde mais pour appartenir à la couleur, à l’idée de cette couleur
foliage javelisé
blonde platine
bleach blonde, dirty blonde, silver blonde, golden blonde, scandi blonde
j’écrirai que la vieille pascale est morte, ces formules toutes faites que les femmes utilisent pour signaler un changement drastique, une réinvention complète de leur personne et de leur image, prononcer la phrase devant un miroir et la sentir rouler doucement sur la langue, un bonbon dur mentholé et piquant, satisfaisant
je me teins en blonde parce qu’aucune autre couleur que le blond souligne ce désir furieux de blanchissement total du passé et d’appartenance à un féminin éternel
le peroxyde s’infiltre et coule en moi et en nous, nous toutes les autres, les autres fausses blondes, les blondes trafiquées, sucre acide chimique qui diluera toute trace de cette couleur terne du passé
je me laisse couler dans la grande piscine des blondes, les membres de mon corps se teintent peu à peu de blanc, de beige, de nude
mon ombre se teinte des reflets de toutes les blondes passées, je m’immisce dans une toute petite faille claire de leur splendeur
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tant d’hommes m’on montré leurs corps nus mais impossible de répondre avec le mien, de dire que je suis ici, avec eux et pas un sourire glossé de femme intermittent, holographique, téléchargeable l’espace d’une heure ou deux
on ausculte l’air passé entre mes cuisses, on ne signale rien, pas d’enfance, pas de limbes
j’habille mon fantôme
…
[Pascale Bérubé est une autrice et poète qui se questionne sur la féminité, le rapport au corps, à la beauté et à l’image. Avec l’écriture, elle cherche à soulever des os élégants d’un désert ou à flotter au dessus d’une piscine.]