par Jessica Dufour
Au cœur du carnage, elle résiste. La chair en haillons. Elle sait encore ramper à couvert.
Elle tisse un filet pour s’échapper des falaises. Ma genèse, une tentative de réconfort.
Je suis l’ovule devenu bouée. Une molécule d’air dans ses poumons remplis d’eau. Défibrillateur pour ses petites morts.
Agrippée à mon corps, elle cherche un rivage. Doux espace où nous pourrions atterrir. Loin des marées.
Dès qu’un rayon apparaît, ma mère se badigeonne de chaleur. Provisions pour les prochains orages.
Le soir elle m’abrille d’une fausse bienveillance. Comme si les berceuses pouvaient éteindre la distance.
Elle me fabule au lieu d’apprendre à me connaître. Me décore de paillettes. Poupée vivante qu’elle brandit aux passants.
Je la suis. De maison en maison quand il ne reste que la fuite. Détenue par un cordon, qui peu à peu se gangrène. Plus besoin de le tâter pour sentir son effritement.
Origine de ses propres cyclones. Elle dissimule sa frayeur dans des pierres lancées à l’aveugle. Quand elles se brisent contre l’asphalte, des gémissements s’en évaporent.
J’échappe de justesse aux éboulements qu’elle provoque. Prends note de toutes ses failles pour savoir où mettre mon doigt.
Elle ne peut s’empêcher de nourrir les bêtes, même si chaque fois elles mordent sa main. En suis-je devenue une?
On m’a dressée à être gentille, douce, docile. Mais cette légèreté est introuvable.
Mes gênes ne cessent de crier la violence.
Elle connait / les chemins de ma rage / retire d’un seul doigt / la gaine de mes nerfs 1. La maison est un foyer ardent où s’accumulent les cendres.
À genoux devant l’aridité de mon ventre, elle se demande pourquoi j’asphyxie. Ses suppliques en écho pour remplir le vide. Je n’arrive plus à l’appeler «Maman».
Ses aboiements ont maintenant une réponse. Je cherche le salut dans le rejet de mes atomes. Ma révolte est une flamme olympique.
À mesure que je défais les décors, elle s’acharne à les rapiécer. Surtout ne pas ajouter de plaies aux murs2.
Chaque jour je planifie mon évasion. Je sors par la fenêtre en douce. Ou par la cour arrière. Me fonds dans le crépuscule. D’un trottoir à l’autre. D’une errance légère. J’arrive à célébrer la solitude.
Je me façonne une image dans les flaques d’eau et les rétroviseurs. M’imagine remplacer les mannequins dans les vitrines. Y établir ma demeure. Leur blancheur lisse m’apparaît plus confortable que la peau molle et moite de ma mère.
Mais je reviens toujours à la noirceur du sous-sol. Docilement. Inévitablement. Refusant de l’abandonner à sa corrosion.
Mon ennui est un abysse où tombent les échos. J’apprends seule à tisser des mondes avec les mots, à les manipuler par le tranchant pour chasser ce qui me comprime. Manière nouvelle de ressasser.
Je pense à réprimer mes cris pour éviter qu’ils la transpercent.
Tôt ou tard, j’offrirai mes entrailles au public.
1Anne-Marie Desmeules, Le tendon et l’os, Montréal, Hexagone, 2019, p. 30.
2Ibid., p. 31.
***
[Jessica Dufour termine un certificat en création littéraire à l’Université Laval. Passionnée des arts et du langage, elle est diplômée en littérature, communication et linguistique. Elle s’implique dans le milieu culturel de la ville de Québec, notamment aux soirées micro ouvert et à titre de collaboratrice aux arts pour l’Impact Campus. Ses textes ont été publiés dans plusieurs revues comme Nyx, Huis-clos et le Crachoir de Flaubert. D’autres suivront.]